Gargantua eut la charge totale de l'armée. Son père resta dans son château fort et les encouragea par de bonnes paroles en promettant de grands dons à ceux qui accompliraient quelque prouesse. Ensuite, ils gagnèrent le gué de Vède qu'ils franchirent d'une traite grâce à des bateaux et à des ponts sommairement établis. Considérant alors la position de la ville qui, étant sise sur une hauteur, lui donnait l'avantage, Gargantua décida d'attendre la nuit pour voir ce qu'il convenait de faire. Mais Gymnaste lui dit :
« La nature et le tempérament des Français sont tels qu'ils n'ont de valeur qu'au premier assaut. Ils sont alors pires que diables ; mais s'ils temporisent, ils valent moins que des femmes. Je suis d'avis que vous fassiez donner l'assaut dans l'heure, quand vos gens auront pris le temps de souffler et de se refaire quelque peu. »
L'idée fut trouvée bonne. Il déploie alors toute son armée en pleine campagne, en plaçant les réserves du côté de la hauteur. Le moine prit avec lui six compagnies de gens de pied et deux cents hommes d'armes, et traversa les marais en grande diligence ; il arriva au-dessus du Puy, jusqu'à la grand'route de Loudun.
Pendant ce temps, l'assaut se poursuivait. Les gens de Picrochole ne savaient pas s'il valait mieux sortir pour les recevoir ou bien garder la ville, sans bouger, mais Picrochole sortit comme un enragé avec une bande d'hommes d'armes de sa maison et fut alors accueilli et fêté à grands coups de canon qui tombaient comme grêle sur le flanc des coteaux, ce qui amena les Gargantuistes à se retirer dans la vallée pour laisser le champ libre à l'artillerie.
Ceux de la ville répliquaient du mieux qu'ils pouvaient, mais les tirs passaient trop haut, sans atteindre personne. Quelques membres de la bande, ayant échappé à l'artillerie, se ruèrent rudement sur nos gens, mais peu purent persévérer car ils furent tous pris entre les lignes, où ils furent jetés bas. Comprenant la situation, ils voulaient battre en retraite; mais pendant ce temps, le moine avait occupé le passage, aussi prirent-ils la fuite sans ordre ni discipline. Certains voulaient les poursuivre, mais le moine les retint, de peur qu'en poursuivant les fuyards ils ne rompissent leurs rangs et que ceux de la ville n'en profitassent pour les charger à ce moment-là. Puis, il attendit un peu et, comme nul ne se présentait en face de lui, il envoya le duc Phrontiste pour inciter Gargantua à progresser pour occuper le coteau sur la gauche et empêcher Picrochole de battre en retraite de ce côté. Ce que Gargantua fit promptement en envoyant quatre légions de la compagnie de Sébaste. Mais ils n'avaient pas atteint le sommet, qu'ils se trouvaient nez à nez avec Picrochole et ceux qui s'étaient dispersés avec lui. Alors ils les chargèrent vivement, mais toutefois avec de grandes pertes dues aux traits et à l'artillerie de ceux qui étaient sur les remparts. Ce que voyant, Gargantua alla leur porter un puissant renfort, et son artillerie commença à mitrailler cette partie des remparts, si bien que toutes les forces de la ville furent rappelées à cet endroit.
Le moine, voyant dépourvu de troupes et de gardes ce côté-là, qui était celui qu'il assiégeait, se porta bravement vers les murailles et fit si bien qu'il les escalada avec un certain nombre de ses hommes, pensant que ceux qui arrivent au combat à l'improviste causent plus de crainte et de frayeur que ceux qui luttent alors de front. Toutefois, il ne fit aucun bruit jusqu'à ce que les siens eussent gagné la muraille dans leur totalité, à part deux cents hommes d'armes qu'il laissa à l'extérieur pour parer à toute éventualité. Puis il poussa un cri terrible, et les siens en même temps que lui, et, sans rencontrer de résistance, ils tuèrent les gardes de cette porte-là qu'ils ouvrirent aux hommes d'armes et ils coururent farouchement vers la porte orientale où régnait la confusion. Ils renversèrent par-derrière tout ce qui était en état de combattre. Voyant qu'ils étaient assiégés de tous côtés et que les Gargantuistes avaient pris la ville, ils se rendirent à la merci du moine. Il leur fit déposer leurs armes et leurs équipements et les fit tous arrêter et enfermer dans les églises, confisquant tous les bâtons des croix et plaçant des gens aux portes pour les empêcher de sortir. Puis, ouvrant la porte du côté est, il sortit au secours de Gargantua.
Mais Picrochole, pensant que du secours lui arrivait de la ville, eut la témérité de prendre plus de risques qu'auparavant, jusqu'au moment où Gargantua s'écria :
« Frère Jean, mon ami, Frère Jean; à la bonne heure, soyez le bienvenu ! »
Alors, comprenant que la situation était désespérée, Picrochole et ses gens prirent la fuite dans tous les sens. Gargantua les poursuivit jusque du côté de Vaugaudry, en tuant et en massacrant, puis il sonna la retraite.
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